Le parcours de l’Arche depuis 20 ans

Article pour les « Noticias del Arca » à l’occasion des 20 ans de parution

Cela va faire 20 ans que vous publiez les « Noticias del Arca » en Espagne, c’est une belle occasion de revenir sur le chemin parcouru de l’Arche pendant ce temps.

Ce sont aussi les 20 premières années de ce nouveau millénaire, qui a mis l’humanité face à des défis existentiels et qui nous a apporté en même temps un réveil de conscience et des nouvelles façons d’agir. Pour ceux et celles qui ont déjà un certain âge, ces années semblent être vite passées : pour ma fille qui a 20 ans, c’est toute sa vie.

Il me semble important de rappeler que nous avons vécu une profonde restructuration au sein de l’Arche pendant cette période.
En 2000, l’Arche se constituait encore en deux parties : il y avait d’un côté l’Ordre, formé par les compagnons et compagnes vivant en communautés, et de l’autre côté le mouvement organisé en groupes régionaux et représenté par les ami.e.s et allié.e. s de l’Arche.

Suite à des nombreux départs, la fermeture de plusieurs communautés (Italie, Espagne, Québec et France) et à la fragilisation des communautés restantes, l’Arche se trouvait dans la nécessité d’entrer dans un processus de réflexion et de restructuration. Les compagnons et compagnes qui avaient quitté leur communauté posaient la question de leur statut. D’autres questions de fond comme celle de l’unanimité dans les décisions se posaient avec insistance. C’était le début d’un profond travail de réflexion et d’un long cheminement qui a inclus des acteurs et actrices des communautés et du mouvement de l’Arche.

Au bout de dix ans de réflexion, il y a eu en 2001 un Chapitre Général de l’Ordre, qui était décisif sur ce chemin. Plusieurs décisions importantes ont été adoptées :
• l’acceptation d’un statut pour les compagnes et compagnons hors communauté, avec une représentation dans le conseil de l’Ordre
• l’adoption d’une motion sur l’unanimité qui ne sera plus considérée comme seul moyen de décision
• l’adoption d’une Charte commune pour l’Ordre et le mouvement de l’Arche
Suite à cela, deux autres Chapitre Généraux extraordinaires, un en 2002 et un autre en 2004, sont des jalons importants sur le chemin du renouvellement de l’Arche. Entre chaque Chapitre, des commissions et l’instance du renouvellement travaillent à l’élaboration des nouveaux textes et structures. Jean-Baptiste Libouban, qui avait accepté de rester le pèlerin jusqu’à l’aboutissement de ce travail, se retire en 2004 et Michèle Le Bœuf est élue responsable de l’Arche par intérim. L’autorité de l’Ordre et sa légitimité passe à la Communauté de l’Arche, Non-violence et Spiritualité.

Pendant ce temps, les deux premières rencontres de l’Arche d’Amérique Latine sont organisées : une en 2001 à Sao Paulo, Brésil, et une deuxième en 2005 à Buenos Aires, Argentine.

En 2005 est organisé un Chapitre International qui sera à la fois l’aboutissement de 14 ans de travail interne et un tournant dans l’histoire de l’Arche, puisque c’est à partir de ce moment-là que l’Arche internationale entre dans le renouvellement. Il y aura dorénavant un même engagement pour tous, une même reconnaissance et le même pouvoir pour tou.te.s les engagé.e.s.

Ces changements profonds au sein de l’Arche n’ont pas été vécus de la même manière par tout le monde. Si, pour certains ils apportaient un soulagement et une raison de revenir ou de s’engager, d’autres les vivaient dans la douleur et choisissaient de partir. C’est pour cela que Michèle Le Bœuf commence ce Chapitre par une demande de pardon adressé à tout ceux et celles qui ont été blessés par le renouvellement.

Michèle est par la suite élue responsable générale internationale pour sept ans.
Une autre décision importante de ce Chapitre est l’approbation du texte « Organisation » et de celui des « Fondements et Orientations ». C’est à partir de ces deux textes-là que le Navigator a été rédigé, document fondamental qui nous donne aujourd’hui nos repères et sert de socle sur lequel s’appuie l’ensemble de l’Arche.
Quelques personnes qui ont quitté la communauté de l’Arche après le Renouvellement ont fondé une petite communauté en Bretagne, Gwenvez. Elles se réclament de la règle de 1975 et ont fondé une nouvelle branche, la Fraternité de l’Épiphanie.

Après tout ces années de travail interne, le temps était venu de souffler, de laisser reposer le côté institutionnel de l’Arche et de se tourner vers l’application concrète de ce nouveau modèle.
La formation des nouveaux engagé.e.s se met en place, elle est prise en charge par les membres des différentes pays et régions où l’Arche est présente.
Parallèlement naissent des nouveaux projets comme la Fève et les Universités d’été.
La Fève est un projet de la communauté de l’Arche de Saint-Antoine créé en 2010. Sa finalité est de transmettre, partager et encourager les pratiques et expérimentations du vivre-ensemble qui favorisent une transition vers une société résiliente, respectueuse et bienveillante dans la relation humaine comme dans notre rapport au vivant, dans un esprit de non-violence.
A partir de 2008, suite à l’initiative de quelques membres de la région Sud-Méditerranée, des Universités d’été de l’Arche sont régulièrement organisées sur le domaine de La Flayssière, La Borie et Nogaret. Elles proposent tous les deux ans un espace ouvert à tout public afin de partager des recherches alternatives, d'entendre ce qui se dit de nouveau sur la non-violence, la transition et le développement personnel.
En même temps, des maisons communautaires comme le Friedenshof en Allemagne et Chambrélien en Suisse ont pu être reconnues, ainsi que les fraternités en Italie et en France. Des nouveaux groupes d’amis Brésil et au Mexique se constituent.

En 2012 est organisé un nouveau Chapitre International au cours duquel trois axes d’action complémentaires se sont manifestés. Ils sont décrit dans le Navigator :

  1.  D’une part le désir de renforcer le « faire communauté » : soif de plus de liens fraternels, de soutien et d’écoute mutuelle, soif de plus de relation, de communication
  2. D’autre part, le besoin de faire jaillir la créativité, en favorisant la mise en place de nouveaux projets, qui participent aux besoins pressants de transformation de la société. Les expériences du vivre –ensemble, de communication non-violente, de l’action civique dans le respect de chaque personne, de l’accompagnement de processus en grand groupe, sont des ressources de la Communauté de l’Arche qui seront au service des besoins de transformation des sociétés.
  3. L’écoute des différentes voix de notre société, particulièrement celle des jeunes, et leur traduction dans les différentes propositions de l’Arche. L’actualisation des textes et des rites de l’Arche dans un langage et dans des formes compréhensibles pour les jeunes de notre temps.
    C’est au cours de ce Chapitre que Margalida Reus est élue nouvelle responsable internationale de l’Arche.

Le Navigator a été traduit et publié dans toutes les langues parlées dans l’Arche, il nous sert maintenant de base commune. Ensemble avec le Conseil International, Margalida a réalisé un énorme travail afin de faire connaître et reconnaître le renouvellement dans les différents pays.
Également pendant son mandat elle a pris l’initiative de proposer un temps de réconciliation afin de guérir les blessures encore existantes.
En vue d’améliorer la communication interne, l’Arche-Post et le bulletin de la vie communautaire ont été crées ; un beau nouveau dépliant, un site international https://archecom.org et un diaporama sont destinés à contribuer à une meilleure visibilité de l’Arche.
Il me semble important aussi de mentionner le travail qui a été réalisé pour actualiser notre logo. Notre petit bateau a été tourné et regarde maintenant vers la droite, ce qui veut dire symboliquement que nous regardons vers l’avenir.

Avec le renouvellement, l’Arche a pris définitivement conscience que sa vocation n’était pas « d’être à part », mais « d’être avec », comme disait Margalida dans son texte « Le renouvellement de l’Arche 10 ans après ». L’Arche a été pionnier dans la non-violence dans son temps ; aujourd’hui elle travaille étroitement avec d’autres personnes et groupes qui s’engagent pour la paix et la non-violence, la justice sociale, l’écologie et le climat. Nous sommes depuis plusieurs années membres de Church and Peace et du Global Ecovillage Network, le réseau mondial des écovillages. Depuis cette année, l’Arche participe également au Collectif d’ONGs « LeJourAprès » qui s’est constitué en France pendant le premier confinement.

L’Arche a joué un rôle décisif aussi dans les Faucheurs Volontaires, fondés par Jean-Baptiste Libouban, et a co-organisé des nombreuses actions contre les OGMs et le nucléaire, pour le soutien du peuple palestinien, contre la vente d’armes et bien d’autres. Plus récemment, la participation à la marche mondial de Jai Jagat et à la Caravane des Alternatives a mobilisé des nombreuses personnes parmi nous. Les grandes marches ont été arrêtées avec la crise sanitaire de 2020, mais la mobilisation continue et des plus petites marches ont pu être réalisées.

Aujourd’hui l’Arche peut se baser sur son longue expérience dans la non-violence, dans le vivre-ensemble et la vie en communauté. En même temps, elle a intégré beaucoup d’apports d’extérieurs comme la CNV (communication non-violente), le travail sur les émotions et la violence intérieure, la sociocratie et la gouvernance partagée, des outils pour vivre en groupe et pour animer des réunions.

Nous avons conscience de nos racines, du riche héritage laissé par Gandhi, Shantidas et nos anciens, et sommes infiniment reconnaissants pour tout ce qu’ils/elles nous ont apporté. Nous savons que non-violence et spiritualité vont de pair, et que la vrai révolution commence par soi-même, par retourner notre cœur.
Forts de ces bases solides, nous continuons à apprendre de nos erreurs et à nous ouvrir à la créativité et à l’expérimentation.
Grâce au travail infatigable de l’Association Les Amis de Lanza del Vasto, l’héritage de Shantidas est répertorié, protégé et transmis d’une façon vivante et accessible.
Leur site www.lanzadelvasto.com est maintenant traduit dans plusieurs langues.

Depuis le renouvellement, nous vivons nos relations entre membres de maisons communautaires et engagé.e.s hors communauté dans l’horizontalité et le partage. Chaque pays et chaque région organise sa vie de groupe, son auto-formation et la formation de ses postulants, ses rencontres, fêtes et interactions avec d’autres acteurs/actrices de la société civile. Chacun de ses groupes vit l’inspiration de l’Arche selon les caractéristiques et le contexte socio-culturelle du pays où il se trouve.

Néanmoins, les maisons communautaires gardent à mon avis une place importante dans la Communauté de l’Arche, Non-violence et Spiritualité. Ce sont des lieux où le vivre-ensemble, le partage, le service et la coresponsabilité sont vécu au quotidien, des lieux d’expérimentation aussi pour la souveraineté alimentaire, l’écologie concrète et la vie simple, des lieux d’accueil, d’accompagnement et de formation, lieux de rencontres pour l’Arche et pour des belles fêtes et cérémonies.

En 2015, suite à la demande du Conseil International, la commission « maisons communautaires » a visité toutes les communautés et initié un travail sur leurs caractéristiques et leurs difficultés. De ce travail est sorti un document qui donne un cadre clair sur ce qu’il caractérise une maison communautaire de l’Arche et les conditions qui doivent être réunies pour être reconnue en tant que telle.
Peu de temps après, la communauté de La Borie Noble, notre « maison mère », a traversé une grave crise qui a amené à la fermeture de celle-ci. Cette crise a soulevé des nombreuses interrogations sur les risques innés de la vie communautaire et nous montre la nécessité d’un accompagnement extérieur pour chaque groupe communautaire.
Aujourd’hui, La Borie est un groupe communautaire de l’Arche très actif et novateur qui continue à faire vivre le lieu et à rayonner. Son association Regain accueille des volontaires en WWOOfing (vivre et apprendre dans des fermes biologiques) et organise des rencontres internationales entre jeunes dans le cadre du programme européen Erasmus Plus.

Pendant les dernières 20 années l’Arche est aussi entrée dans l’ère numérique. La communication par mail, les blogs, sites et plus récemment les visioconférences sont des outils que nous utilisons pour faciliter la communication entre nous et avec d’autres mouvements ainsi que pour améliorer la visibilité de l’Arche, même si nous gardons un regard critique sur les abus de cette technologie.

En Espagne par exemple, le groupe de l’Arche a participé à l’initiative du collectif « Noviolencia » d’organiser une série de visioconférences publics sur différentes facettes de la non-violence, qui ont connu une grande participation pendant le temps du premier confinement.

En 2019, le Chapitre Général International est organisé sur le domaine de La Borie, La Flayssière et Nogaret. C’est une rencontre joyeuse, interculturelle et intergénérationnelle avec une forte participation de jeunes et de représentants d’Amérique latine. Notre intervenant extérieur, Philippe Gonzalez nous propose des réflexions intéressantes sur l’engagement et la place de l’Arche dans les villes. S’il n’y a pas eu de décisions importantes qui ont été prises lors de ce Chapitre, nous en sortons avec un élan renouvelé de vivre l’Arche dans toute sa diversité et de vraiment faire communauté au niveau international. C’est au cours de ce Chapitre que Margarete Hiller est élue responsable internationale de l’Arche pour sept ans et un nouveau Conseil International est constitué.

Depuis son élection, ce Conseil s’efforce de renforcer nos liens au niveau international, d’intégrer encore davantage les pays d’Amérique latine dans nos échanges et de nous faire connaître à un plus large public.

L’Arche est aujourd’hui présente dans 12 pays et continue à porter des fruits divers et multiples.

Depuis l’automne 2020, un petit groupe de jeunes, formés par la maison communautaire de Saint Antoine, s’est installé à Nogaret pour y faire revivre la vie communautaire dans l’esprit de l’Arche.

En même temps, un « festival du changement » se prépare pour l’été 2021 sur le domaine La Flayssière, La Borie et Nogaret. Il rassemblera membres de l’Arche, grand public et témoin.e.s et intervenant.e.s issu.e.s de la société civile et engagé.e.s dans la non-violence et la transition écologique. L’Arche continue à vivre et à naviguer…

Pour terminer, je me permets de citer encore une fois le Navigator :
La communauté de l’Arche n’a de sens que si elle répond à des préoccupations et à des enjeux d’aujourd’hui.

A mon avis c’est cette interpellation-là qui doit nous guider dans nos choix et nos engagements. En quoi nos réflexions, nos actions, nos choix de vie personnels, de groupe et communautaires peuvent répondre aux enjeux de notre temps, plus grands que jamais ?

Lanza del Vasto a été visionnaire dans son temps, n’ayons pas peur de prendre le relais, car l’Arche a toujours une vision porteuse d’espérance pour le monde d’aujourd’hui.

 

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